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La Guerre - les Guerres
L'évolution des guerres Libres propos |
Evoquer l'évolution de la guerre revient a priori à faire une typologie synthétique des formes de guerre. C'est à cet exercice que s'est attaché Michael Howard dans son ouvrage : La guerre en Occident. Il y isole un certain nombre de périodes et de types de guerres qui parfois se suivent parfois se chevauchent dans le temps. Mais, derrière l'étude historique se cache bien sûr la problématique suivante : la guerre a-t-elle un avenir et sous quelles formes ?
Cette courte étude n'a pas la prétention d'y répondre mais de donner quelques éléments d'information et de réflexion sur ce sujet.
1. Les guerres privatisées
Les guerres des chevaliers dans la société féodale, V°-XIV° siècle.
La désintégration de la pax romana, concrétisée par les invasions barbares en créant un climat général d'insécurité réduit de manière croissante l'autorité romaine mais surtout les échanges commerciaux et la confiance. La réponse économique et militaire est la société féodale, très hiérarchisée, fondée sur le système de la suzeraineté, allégeance politique avec une dimension religieuse. La seule richesse est la terre, qui est distribuée en concession de cette allégeance ou en récompense. Guillaume le Conquérant lancera l'invasion de l'Angleterre au XI° siècle sur cette idée. De plus, l'autorité étant morcelée, les guerres ont souvent pour motifs des droits personnels de propriété. Peu à peu, le chevalier devient la seule force de frappe sur le champ de bataille mais aussi une autorité locale et visible, fédérant par le système de la suzeraineté.
La guerre de Cent Ans conduira finalement à l'affirmation du pouvoir royal, aucun grand chevalier n'ayant les capacités de s'imposer seul.
En parallèle, la codification croissante de la guerre, qui répond d'abord à un sentiment religieux, conduit aussi à une commercialisation croissante du conflit : on note la volonté des vainqueurs de ne pas ruiner le vaincu pour en obtenir butin ou rançon.
Les guerres de mercenaires, XV°-XVI° siècle.
Si l'équipement du seul chevalier ne permettait que d'équiper les plus fortunés, l'entretien d'une armée n'est à la portée que d'un nombre très restreint.
Le coût d'entretien des armées augmente avec l'acquisition, la mise en œuvre et le soutien de l'artillerie en particulier, mais aussi avec l'emploi de troupes rémunérées comme les piquiers suisses. Cela a pour conséquence de limiter la guerre à des campagnes courtes (emploi temporaire des condottieri, comme Sforza ou Colonna) avec des chefs très prudents et économes de leurs moyens. Il se développe donc une nouvelle activité, à la frontière entre le militaire et l'économie, de grands noms se lançant et faisant fortune dans le commerce de leurs capacités militaires de la stratégie à l'utilisation de leurs troupes. Mais aucun de ces entrepreneurs ne réussit à convertir efficacité militaire en pouvoir politique (Wallenstein au XVI° siècle).
Les guerres des marchands, XVII° siècle.
De local, la capacité militaire passe au niveau « national » avec l'enrichissement de certains Etats. Les Pays-Bas peuvent ainsi entretenir une armée professionnelle permanente (et leur faire « faire l'exercice »). Cette professionnalisation des armées permet une guerre de professionnels, c'est-à-dire codifiée, économe en personnel, coûteux à former et à entretenir, tournée vers des buts politiques et pour lesquels la raison d'Etat prime. De nouvelles notions apparaissent : Justius Lipsius (humaniste flamand du XVII°) décrit celle de discipline comme l'association de l'esprit de sacrifice et de l'obéissance. Les possibilités de terres à conquérir étant désormais terminées sur le continent européen, la suprématie maritime devient la condition nécessaire de puissance. De plus, elle assure la sécurité des nouveaux types d'échanges commerciaux entre continents (route des indes, etc....).
La guerre des professionnels, XVII° - XVIII° siècle.
L'efficacité de la machine étatique s'accroissant, l'Etat est capable de maîtriser les seigneurs et d'entretenir des professionnels : la violence est canalisée. Cette action sera particulièrement visible en France sous l'autorité de Louis XIV et des Le Tellier. En parallèle, la guerre des professionnels, fondée sur l'économie de personnel fait évoluer la réflexion stratégique et tactique. D'une part, le résultat du choc frontal de deux armées dans une bataille ne devient plus la condition du succès militaire. En revanche, l'affaiblissement de l'ennemi par des actions indirectes s'impose, théorisée par le Maréchal de Saxe : un général habile peut faire une guerre sans livrer une bataille. D'autre part, la stratégie se focalise sur des actions militaires limitées dans le temps et dans l'espace comme la prise d'une place forte, techniquement complexe, mais qui suffit à montrer la force et la puissance de l'attaquant en cas de victoire, et sans trop de gravité en cas d'échec.
2. Les guerres nationales
Les guerres de la Révolution, 1792-1815.
Rompant avec les « guerres en dentelle », ces guerres vont remettre le mouvement et le choc au cœur du combat. Mais la véritable révolution est bien dans la nouvelle dimension politique : les guerres deviennent totales. La violence en est une première caractéristique, symbolisée par la Terreur en France. Il s'agit bien d'obtenir la destruction de l'ennemi, intérieur (contre-révolutionnaires, Chouans,...) ou extérieur. La seconde caractéristique est qu'elles n'opposent plus des armées mais des populations, derrière le concept de nations. Le nombre redevient un paramètre majeur. En 1792, à Valmy, les victoires des armées révolutionnaires reposent sur la supériorité numérique : les premiers soldats volontaires de la Révolution ont été bien vite remplacés par des bataillons de recrues issues d'un nouveau système, la conscription générale, mise en œuvre en France par Lazare Carnot.
La vision de l'effet stratégique évolue également : avec Napoléon, les batailles ne sont plus un mal nécessaire, mais le point culminant de toute campagne, le moment du renversement des rapports de force politiques. La réflexion sur la conduite des opérations s'y adapte et les guerres napoléoniennes sont marquées par une décentralisation presque illimitée sous un commandement suprême unique, ce qui a été en particulier relevé par Jomini et Clausewitz. Mais le champ de bataille napoléonien est terrestre. La défaite de Trafalgar, en faisant écho à la victoire d'Austerlitz, en 1805, donne la maîtrise absolue des mers à la Grande-Bretagne.
Initiée par la Révolution en France comme facteur de succès militaire, la libération des énergies nationales, changement fondamental dans la perception de l'emploi du soldat, se propage en Europe : Scharnhorst entreprend ainsi de reformer l'armée prussienne après Iéna selon la logique patriotique et cela conduira à la victoire de Leipzig en 1813, fondement de la création de la future armée impériale allemande en 1871.
Les guerres des nations industrielles, le XX° siècle :
La guerre de Sécession et la guerre de 1870 sont couramment présentées comme représentatifs de la bascule entre les guerres classique et les guerres modernes. Qu'elles s'appellent guerres industrielles ou guerres des nations, elles sont impitoyables, car non seulement le pouvoir politique joue sa survie, mais également la nation. Les moyens employés sont donc sans communes mesures avec ceux des guerres du passé. Il s'agit bien d'un effort national total, mobilisant toutes les capacités des nations industrielles. Fondée sur la mobilisation générale des hommes pour les besoins des armées, la guerre des nations oblige les civils et surtout les femmes à occuper les postes de production qui concourent à l'effort de guerre. En parallèle, les civils deviennent un objectif militaire stratégique pour nombre de belligérants comme en témoignent les bombardements sur les villes britanniques, allemandes ou japonaises pendant la Seconde guerre mondiale.
Les caractéristiques principales de ces guerres des nations industrielles, outre leur engagement total, sont la complexification des opérations et la combinaison des tactiques.
En effet, une nation doit être capable de mener la guerre sur terre, dans les airs et sur mer, en s'assurant le contrôle de ces milieux et en étant capable de les utiliser comme voies de communication. Les opérations aéro-maritimes dans le Pacifique en sont un exemple. Les moyens à mettre en avant sont donc divers et la partie combattante d'une armée voit sa part relative réduite par rapport aux éléments logistiques, de soutien et de mouvement. Les ratios combattant / soutien évoluent considérablement. L'impact sur la stratégie est la complexification des opérations au niveau des théâtres.
La combinaison des tactiques est une autre dimension : si la Première guerre mondiale avait semblait avoir sonné le glas de la guerre de position, improductive, destructrice et ruineuse, la guerre de mouvement au niveau des unités combattantes n'aura pas été la seule méthode d'action de la Seconde guerre mondiale. Si les combats de Leningrad et de Stalingrad sont les plus connus, les combats dans le Pacifique sont également des actions de siège. La guerre de positions localisée permet aux armées en difficulté de gagner du temps : pour l'URSS, lui permettre de mettre à niveau son outil industriel, pour le Japon, d'espérer lasser et épuiser les Américains. Cependant, au final, le « choc » et le « feu » dominent les tactiques. Vaincre l'adversaire ne suffit pas, il faut l'écraser. L'utilisation croissante et massive de l'artillerie, en particulier lors des combats de Berlin en 1945, le montre bien.
La guerre révolutionnaire vs la guerre des techniciens (XIXe - XXe - XXIe ?).
La guerre révolutionnaire est souvent associée aux guerres de décolonisation et d'indépendance (Indochine et Algérie pour la France, Amérique Latine, Cuba,....). Elle existait déjà au XIXe siècle et les penseurs politiques du XXe y ont d'ailleurs puisé leur inspiration dans deux exemples : la guerre d'Espagne et la campagne de Russie de Napoléon Ier. En effet, si les combats de partisans et de francs-tireurs a toujours existé, l'ampleur des actions tactiques et du résultat stratégique des guerres d'Espagne et de Russie montrent en quoi elles ont un réel impact politique. Adossées à des armées (armées britanniques et prussiennes en Espagne) ou à un pouvoir politique (Cosaques en Russie impériale), ces unités non-régulières ont démontré leur rapport coût-efficacité incomparable face à des armées de haut niveau. La principale caractéristique de ces guérillas n'est bien sur pas la qualité de leurs équipements, armements et tactiques, mais un paramètre non quantifiable : l'esprit contestataire voire révolutionnaire, qui donnera la force et l'énergie pour accepter d'être en permanence en désavantage militaire face à l'ennemi mais de conserver l'ascendant moral sur lui.
Lénine définira et théorisera les techniques d'organisation révolutionnaire qui permettent de mettre ce type de forces au service d'un objectif politique. Mais paradoxalement, alors que sa vision est internationale, les réussites des guerres révolutionnaires sont presque systématiquement régionales (Mao en Chine, Ho Chi Minh en Indochine, etc...). l'idéal politique n'est donc pas le seul moteur du guérillero. L'attachement à la terre reste prégnant. La guerre d'Espagne en 1936 est peut-être le seul exemple d'un conflit de nature révolutionnaire impliquant la participation de volontaires ou unités étrangères.
A partir du début du XX° siècle, alors que les révolutionnaires fondent leurs pensées stratégiques et tactiques sur un objectif politique qui justifie tous les moyens (jusqu'au terrorisme), les nations industrialisées voient la technicité des combats augmenter.
La technicité est d'abord juridique : à compter des premiers traités de la fin du XIX° siècle sur la protection des blessés, l'accroissement du corpus du droit de la guerre limite considérablement les possibilités d'action des armées des nations démocratiques.
En parallèle, la technicité est également scientifique : d'une part, les trois fonctions essentielles de la guerre peuvent être réunies dans un même système d'arme (bombes guidées : coup au but assuré/feu, tirs depuis une grande distance/protection, réorientation en vol/mobilité) et d'autre part la rapidité des avancées technologiques permettent des actions impensables quelques années auparavant et obligent à repenser la tactique. L'arme nucléaire conciliera également une dimension psychologique (la peur des représailles) et politique (l'emploi en premier) qui en interdira l'emploi.
3. La guerre de demain...la guerre d'influences ?
Deux tendances semblent se dégager pour les armées occidentales. D'abord la nécessité d'anticiper. La préoccupation du chef militaire est le renseignement, le fameux « voir au-delà de la colline » de Wellington, c'est-à-dire de disposer d'une information élaborée sur le terrain, sur le milieu ou l'adversaire obtenue dans un rapport coûts / délais / fiabilité acceptable. Aujourd'hui, l'évolution porte sur le champ d'intérêt du « renseignement ». Ce champ semble s'élargir des acteurs militaires à leur environnement physique, mais aussi financier, économique, sociologique, aux populations, etc... Mais est-ce encore du renseignement ou de la simple connaissance ? En clair, ces informations serviront-elles à prendre une décision ? L'évolution porte aussi sur la nécessité de gestion du volume de données, quantité dite exponentielle, non pas, peut-être à cause de l'augmentation du volume d'informations différentes disponibles mais surtout de la multiplication des sources et de la duplication des données collectées, causes encore amplifiées par la facilité de manipulation et de stockage autorisée par les outils informatiques.
Seconde tendance, la multinationalité semble devoir devenir la condition sine qua non de tout engagement. Elle semble pour partie imposée par les limites des capacités militaires et financières de chaque Etat mais aussi par la volonté politique de se fondre dans des ensembles supranationaux porteurs de la légitimité de l'action et de ses valeurs. Or la multinationalité a une limite majeure, qui n'est pas, comme on aurait tendance à le penser, l'interopérabilité des équipements et des procédures mais la capacité des autorités politiques et militaires à définir des buts communs, à réduire leurs agendas secrets et in fine à se comprendre. Les guerres entre 1813 et 1815 contre Napoléon ont montré qu'un acteur unique, plus faible numériquement, pouvait mener un combat au moins retardateur face à une coalition. En revanche, la Seconde guerre mondiale a été l'occasion d'une action coordonnée des forces alliées capables de planifier et de conduire en commun de vastes opérations de niveau politico-stratégique (on imagine les conséquences d'un échec du débarquement en Normandie). C'est pourquoi, la formalisation de cette coordination réussie a été réalisée par la création d'organisations internationales comme l'OTAN.
Sommes-nous aujourd'hui dans un paradigme combinatoire, agrégeant les différentes formes de guerre précédentes, obligeant à intégrer des paramètres de plus en plus nombreux (accélération des processus décisionnels, du cycle du renseignement, de la circulation de l'information en général), décorellant définitivement le chef de la couche des techniciens-opérateurs des systèmes d'armes et d'information et ramenant en permanence la réflexion stratégique sur les fondamentaux (connaissance du milieu, maîtrise d l'information et de la communication, etc...).
Au final, les vraies questions ne sont-elle pas de savoir :
- si le chef militaire, le stratège, a évolué ?
- si le politique a encore le courage de faire la guerre ?
- si nous connaissons notre adversaire actuel ?
Cette dernière question détonne d'autant plus que nous semblons disposer de tous les outils pour étudier l'adversaire. Pourtant la nébuleuse terroriste nous met face à un véritable défi de compréhension, qualifié de « combat asymétrique » mais qui se distingue vite du simple calcul de rapports de forces militaires. L'ennemi est devenu paradoxal : dans le temps et dans l'espace, il est à la fois présent (attentats, attaques contre les forces de l'OTAN en Afghanistan) et immatériel (Internet, propagande médiatique,...). Il fonde son action sur l'irrationnel, comme l'emploi de femmes-kamikazes, ce qui correspond à l'acceptation de la mort comme récompense du combat. Là se situe la véritable asymétrie avec des armées high-tech qui menacent de mort des combattants qui l'ont déjà acceptée. Son effet majeur est d'amener les armées occidentales dans une zone de non-droit (« loi du talion », combats contre les civils, etc....) ce qui légitimerait du coup son action et lui assurerait non seulement la crainte mais aussi le respect des populations. Ces nouveaux adversaires conjuguent donc les principes tactiques et stratégiques des guerres révolutionnaires et insurrectionnelles en y ajoutant l'utilisation des moyens de leurs ennemis (emploi des NTIC par exemple) et en ne s'interdisant rien. Mais derrière les modes d'actions utilisant le chaos et l'anarchie se cache la volonté d'établir un nouvel ordre. Au-delà, en inversant la réflexion, on peut même se demander si ce nouvel adversaire n'existe que par la faiblesse des Etats et des organisations internationales, occupant un espace d'influence laissé vide.
En conclusion on peut se demander si les XX et XXIe siècles ont accélérés le temps et complexifié la guerre ou si nous n'avons pas encore assez de recul pour bien comprendre la nature des conflits actuels. La numérisation croissante des activités semble par exemple ouvrir un nouveau champ d'opérations encore mal maîtrisé qui peut donner cette illusion. En réalité, il semble bien que les principes tactiques traditionnels s'y adapteront, dans une déclinaison certes plus technique, mais identique dans la conception.
Enfin, l'enseignement majeur de ce bref parcours des types de guerre est que si le domaine tactique est souvent bien maîtrisé, la stratégie ne réussit qu'adossée à un but politique clair, transcrit en effet final recherché. Si les « buts de guerre » sont flous, évolutifs, la stratégie perd son orientation.
EM 2010
stratégie, strategy, tactique, tactics, guerre, afghanistan, irak |